Alors que les technologies numériques redéfinissent nos sociétés, l’Afrique doit tracer sa propre voie. Cela commence par la conception locale d’une Infrastructure Publique Numérique (IPN). Les IPN sont des systèmes fondamentaux tels que les paiements numériques responsables, les identifiants numériques et les plateformes de partage de données — des services essentiels comparables à l’eau ou à l’électricité. Grâce à ces outils, les populations peuvent pleinement exercer leurs droits et tirer parti de l’économie numérique, tandis que les services publics gagnent en portée et en efficacité.
Cet article a été publié à l’origine sur SciDev.Net le 14 juillet 2025
Alors que, pour la première fois, l’Afrique prend la présidence du G20 — sous la conduite de l’Afrique du Sud et avec l’Union africaine désormais membre à part entière — le moment est venu d’affirmer avec ambition une transformation numérique du continent, centrée sur l’humain, inclusive et souveraine. Le Guide des feuilles de route IPN, publié le 26 juin, propose un cadre concret pour accompagner les pays dans l’élaboration de feuilles de route adaptées à leurs réalités nationales, en s’appuyant sur des exemples inspirants venus d’Afrique et d’ailleurs.
De la fragmentation à une vision unifiée : l’exemple sud-africain
L’Afrique du Sud a lancé sa feuille de route Digital Mzansi en mai 2025. Face à des politiques et systèmes numériques fragmentés, le gouvernement a réuni un groupe de travail interministériel, coprésidé par le ministère des Communications et le Trésor national, avec la participation de la société civile, d’experts techniques et de groupes communautaires. Il en a résulté une stratégie ancrée dans les priorités nationales et axée sur des cas d’usage comme l’inclusion financière, la santé et la protection sociale. La feuille de route prévoit l’interconnexion des systèmes d’identification, la création de plateformes de données ouvertes interopérables et un suivi transparent de l’impact des services publics.
Des exemples inspirants du Kenya, du Rwanda et du Ghana
Le Kenya, avec sa feuille de route Digital Economy Blueprint, incarne une stratégie ambitieuse, notamment en matière de e-gouvernement, portée par une forte coordination entre les ministères, le secteur privé et la société civile.
Le Rwanda, par le biais de son Plan stratégique du secteur TIC (2024–2029), a adopté une approche sociétale globale de la transformation numérique, en donnant la priorité à l’inclusion, à l’amélioration des services publics et au développement économique. Cela inclut le développement des IPN dans des domaines comme l’état civil et l’administration publique.
A travers sa politique et stratégie de l’économie numérique, le Ghana montre comment les IPN peuvent favoriser l’équité et une croissance inclusive, notamment via des initiatives comme la Ghana Card et les réformes des paiements numériques dans les secteurs de la santé et de la protection sociale.
Ces efforts sur notre continent montrent que nous savons déjà comment poser des fondations numériques inclusives. Comme nous l’avons exprimé dans les aspirations d’une Afrique numérique inclusive au sein de la ZLECAf via le Protocole sur le commerce numérique, nous devons connecter et déployer rapidement les IPN grâce à cette vision partagée.
Des feuilles de route souveraines, inclusives et pragmatiques
Une feuille de route IPN constitue un outil de gouvernance qui relie les ambitions numériques à la mise en œuvre concrète, clarifie les rôles institutionnels, fixe les priorités et rend explicites les choix stratégiques : quels secteurs cibler, quels partenariats rechercher, comment protéger les données.
La transformation numérique doit être inclusive. Le processus sud-africain a inclus des groupes de discussion avec de jeunes femmes, des travailleurs du secteur informel et des bénéficiaires de subventions. Leurs contributions ont influencé les cas d’usage et la conception des services pour une mise en œuvre responsable. Les solutions numériques importées — souvent conçues sans tenir compte des réalités des populations africaines — peuvent offrir des bénéfices à court terme, mais présentent aussi des risques : technologies fermées, algorithmes opaques et dépendance accrue vis-à-vis des fournisseurs étrangers.
Pour garantir leur souveraineté numérique, les pays africains doivent privilégier l’adoption de standards ouverts (open source), le développement de systèmes interopérables et évolutifs, l’investissement dans les talents technologiques locaux, ainsi que des partenariats équitables axés sur le transfert de compétences et la création de valeur sur le continent.
La coopération régionale est essentielle pour accélérer la transformation numérique du continent. Des initiatives comme la ZLECAf et des alliances telles que Smart Africa créent un cadre propice à l’action collective, en facilitant la mutualisation des ressources, le développement de systèmes interopérables et la mise en œuvre coordonnée de solutions à l’échelle panafricaine.
Le Guide des feuilles de route IPN : un outil d’action collective
Ce guide est conçu pour accompagner les pays, quel que soit leur niveau de maturité dans le parcours de transformation numérique. Il propose une démarche étape par étape inspirée d’expériences concrètes du Sud et du Nord. Il favorise l’apprentissage entre pairs, la coordination interministérielle et la mobilisation des acteurs publics, privés et de la société civile. Il met également en avant le rôle catalyseur des IPN pour l’innovation dans le secteur privé, notamment via la construction de systèmes de paiement interopérables, de solutions fintech, d’infrastructures de finance ouverte qui réduisent les barrières d’entrée pour les micro, petites et moyennes entreprises (MPME), libérant ainsi des opportunités économiques dans toutes les communautés du continent, qu’elles soient rurales, périurbaines ou urbaines.
Le guide a été présenté aux délégués du groupe de travail sur l’économie numérique du G20 (DEWG) en début de trimestre, et son accueil a confirmé le besoin croissant d’outils pratiques pour transformer l’ambition en action. Au fur et à mesure que davantage de pays testeront ce guide, leurs expériences et retours contribueront à l’amélioration des prochaines éditions.
Et ensuite ? Vers une Afrique qui écrit sa propre narration numérique
Nous appelons les gouvernements, les Communautés économiques régionales (CER) et les partenaires à adopter et utiliser le guide, et à partager leurs retours pour l’améliorer en tenant compte de leurs réalités. Il s’agit d’une opportunité unique de façonner une vision panafricaine ancrée dans les réalités nationales et les ambitions de l’Agenda 2063, dynamisées par la mise en œuvre de la ZLECAf.
L’Afrique regorge de talents et de vision. Elle peut atteindre l’indépendance numérique et affirmer son leadership en tant qu’architecte de son avenir numérique. Concevoir nos propres IPN, c’est concrétiser le choix politique clair que nous avons fait : construire un marché africain numérisé unifié (ZLECAf), instaurer la confiance, et faire en sorte que notre transformation numérique serve les populations en priorité, sans laisser personne de côté.
Télécharger le Guide de la feuille de route pour les DPI.